Les entreprises rurales de l’économie de l’information et l’utilisation des Tic - Première analyse - B.Moriset

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Les entreprises rurales de l’économie de l’information et l’utilisation des Tic - Première analyse - B.Moriset

 
Ce qui est dommage dans cette investigation, qui néanmoins apporte quelques tendances, c’est :

  • La focalisation sur les seules entreprises du secteur « économie numérique ou créative » utilisant par nature même les Tic ! La vraie question aurait été d’approfondir l’usage des Tic par les entreprises industrielles du monde rural ou celles des activités de type services à la personne. Ceci devant être resitué au vu de l’analyse conduite par l’ADCF et lISM sur les modes d’action économique des intercommunalités mentionnant le délaissement par les élus, des activités industrielles créatrices d’emplois et de richesses en faveur d’autres activités et du logement ; et le déficit de compétences disponibles au sein des communautés pour élaborer un diagnostic économique préalable à toute stratégie territoriale.
  • Le manque de mise en perspective théorique sous-jacente, par exemple sur le processus de création de valeur ajoutée locale par les dites entreprises et leur situation dans la chaîne de valeur des commandes reçues. D’autant que l’auteur invoque les travaux de L.Davezies (poids croissant des revenus de l’économie résidentielle (tourisme, retraités, résidences secondaires) dans des territoires ruraux … Economie résidentielle avec emplois peu qualifiés, souvent saisonniers.… Concentration emplois du tertiaire supérieur dans les métropoles. Faute d’emplois qualifiés, les jeunes… ne peuvent pas « revenir au pays ».)

Repères sur les thèmes traités par l’étude

  • 1- La méthode
    • => On voit bien l’aire étudiée, la base SIRENE, les blocs métiers et la méthode de collecte par entretien téléphonique avec la structure du questionnaire, mais rien sur la méthode d’observation du poids réel / relatif de ces entreprises locales du secteur informationnel dans la réalité économique et sociale des territoires ruraux… Ce dernier point étant pourtant essentiel à la contextualisation de l’analyse des résultats.
    • => Dommage d’utiliser plusieurs expressions pour désigner le secteur : « entreprises de services supérieurs » (au moins mentionner l’approche de la CCI de Lyon ou celle de la Picardie). Sont-elles assimilable ou plus large que l’expression « économie numérique ou créative » ; ou encore que « l’échantillon détaillé des observations avec les codes NAF est présenté en annexe. ». Pas disponible dans la version en ligne de l’étude ?
  • 2- « Opportunités d’activités économiques réalisables à distance » du donneur d’ordre (secrétariat, comptabilité, support technique, enquêtes et études, traduction, design, ingénierie et conception, architecture, édition de livres ou de logiciels, vente à distance… )
    • => Affirmation peu significative, en l’absence d’investigation plus précise à la fois sur la position du secteur dans la chaîne de valeur des donneurs d’ordre, et sur le niveau d’usage numérique de ces derniers.
  • 3- « Le facteur décisif étant la géographie des compétences humaines, plutôt que celle des clients. » .
    • => Un vrai sujet que l’on qualifie pour notre part de « potentiel d’employabilité des territoires ». C’est à l’évidence sur ce point que la concurrence des énergies entre les territoires géopolitiques ou numériques va se développer… Dommage que la plupart des décideurs continuent à raisonner en bassins d’emplois !
  • 4- « La croissance de l’économie de l’information est donc une chance à saisir pour favoriser la création d’emplois pérennes, limiter la fuite des cerveaux, et aussi faciliter l’insertion de professionnels qui veulent un cadre de vie différent pour eux- mêmes et leur famille. »
    • => L’énumération est un peu facile… Les obstacles sont plus nombreux. La pérennité ne s’édicte pas. Elle est un combat régulier dans la recherche de clients dans l’univers concurrentiel farouche de l’internet sur les qualifications certes, mais aussi sur les tarifs. La fuite des cerveaux… une expression qui sied mal entre l’urbain et le rural… Quant à la qualité de vie, elle est un choix perso peu liée aux Tic…
  • 5- « Un travail à distance qui devrait permettre aux entreprises rurales de services supérieurs ou « créatifs » de minimiser une partie des handicaps inhérents à la ruralité » (éloignement, faibles densités).
    • => Si le travail à distance était un facteur majeur pour combattre les handicaps de la ruralité… cela se saurait depuis longtemps et le télétravail exploserait !
  • 6- Sur le constat et les résultats présentés
    • => « La présence forte dans le panel d’entreprise à domicile, le rapport national / international (cf cependant ci-dessous »), l’origine du dirigeant, la localisation de la clientèle… sont des indications utiles.
    • => « Le refus de payer plus cher pour avoir le très haut débit… » . Est-il si surprenant pour le secteur « économie numérique ou créative » ?… Dommage que rien n’ait été collecté pour identifier les usages que les entrepreneurs peuvent avoir ou imaginer derrière ce THD ?
      Surtout avec ce type de question :« Pensez vous que l’accès au très haut débit sur fibre optique pourrait favoriser les performances de votre entreprise ? , 44,8 % des entreprises rurales répondent »Oui« … » Comment à partir de là, peut-on écrire : « Une attente un peu plus forte vis-à-vis de la fibre optique chez les ruraux » ? Alors même qu’un peu plus loin l’auteur écrit page 22, à propos du THD : « Le nombre important de non-réponses indique une incertitude, ou une perplexité par rapport à un sujet peu maîtrisé, et confirme que les attentes dans ce domaine sont particulièrement floues. »… Cela déçoit sur la rigueur de l’analyse.
    • => « La fracture numérique est à relativiser » . Une affirmation qui fera plaisir aux opérateurs dominants peu enclins à dépenser des sous en milieu rural.… D’autant que l’auteur indique : « Les entreprises rurales sont globalement satisfaites de leur connexion, avec seulement 10 % de mécontents ».
    • => « Les entreprises rurales utilisent beaucoup moins les réseaux sociaux professionnels » . Plutôt une bonne nouvelle et une confirmation qu’à part le buzz et le marketing, ces réseaux sociaux ne sont guère utiles pour l’activité économique des unités de production analysées.
    • => « Les entreprises individuelles souffrent plus que les autres de la localisation périphérique. Cela peut être une incitation à développer des télécentres » . Une affirmation non étayée. Que signifie « souffrent plus » en termes d’exercice d’une activité économique ?
    • => « Les difficultés de recrutement » . La question là aussi devrait être contextualisée : quel est le niveau de compétences requises, et la concurrence sur ces compétences, dans les champs des activités « économie numérique ou créative » ? Tout dépend de la valeur ajoutée réelle de l’entreprise dans son secteur d’activité. Je connais des entreprises mondiales localisées en milieu rural qui n’ont pas de difficultés à faire venir quelques pointures de compétences !
    • => « Comparaison rurale / urbain : les entreprises urbaines (Lyon), à structure et effectif comparables, sont moins présentes « à domicile » (39 % contre 42 %), et plus nombreuses à louer un bureau (57 % contre 49 %). Ceci pourrait s’expliquer par la rareté relative des bureaux à louer dans les territoires ruraux. » L’analyse aurait pu faire le lien avec les propres conclusions d’une autre de ses études mentionnant globalement le peu d’usages des télécentres (Repères interrogatifs sur le déploiement de télécentres par les élus ruraux).
    • => « Géographie des clients par segment de métiers »  : un bon rappel, mais pas de tendances nouvelles. Il est de plus classique de voir les clients « suivrent » ou rester fidèle à leur fournisseur, dans sa « relocalisation ».
    • => « Le Tableau 15. L’indice composite d’usage des TIC » pose question dans l’interprétation sur la vente en ligne, quant on le rapproche du « Tableau 4. Effectif courant de l’établissement » indiquant que près de 70% de l’échantillon ont des effectifs entre 1 et 3. Même si la vente en ligne explose… cela mérite précisions. D’autant plus, si on le rapproche du Tableau 18. « Les usages des TIC, par métiers » qui mentionne une concentration sur la vente en ligne pour « Edition et prod. de contenus » et « Informatique ». Il aurait sans doute fallu préciser davantage ce que recouvre l’analyse « Vente en ligne ».
    • => « Tableau 16. Indice d’usage des TIC et télétravail » … Ce sont les « gardiens du temple » de la définition officielle du télétravail :) qui vont s’arracher les cheveux… s’ils font le rapprochement avec les blocs métiers analysés… souvent sous statut indépendant ou entreprise individuelle… et donc exclus du champ « officiel » du télétravail, puisque ce sont des sous-traitants ! (Cf Télétravail - Ressources Documentaires - accord interprofessionnel (ANI) ).
  • 7- « Les entreprises qui travaillent, au moins en partie, à l’échelle nationale ou internationale. Ces entreprises, dont une partie des clients est éloignée, doivent faire un usage plus important des TIC, et notamment des applications susceptibles d’économiser des déplacements  : conférence téléphonique, web ou visioconférence, vente en ligne. Ces entreprises sont aussi les plus nombreuses à pratiquer le télétravail. Elles sont donc les plus emblématiques de l’émergence, dans les territoires périphériques, d’une économie de l’immatériel qui parvient à résoudre en partie le problème de l’éloignement. Ce sont ces entreprises qui contribuent le plus à l’élargissement et à la diversification de l’économie locale. »
    • => Désolé, mais je ne vois pas dans les résultats ce qui étaye ce type de conclusion…
  • 8- « L’amélioration de la maîtrise et des usages des TIC par les entreprises rurales reste posée, qui pourrait amoindrir le différentiel existant avec les entreprises urbaines. Il y a là sans doute un problème structurel, causé par un déficit de ressource humaine et technique locale, lui-même héritage d’un isolement géographique dont les effets se font encore sentir. »
    • => Ce raisonnement est plutôt désolant. Il revient à situer la ruralité en négatif ! L’étude n’ayant pas analysée la place des entreprises observées dans la chaîne de la valeur tire, sur ce point, des conclusions hâtives et non fondées par l’exploitation des données. C’est oublier bien vite que c’est le marché qui pour partie tire la sous-traitance. On le voit nettement dans le déploiement de la SA 8000 ou autres normes lorsque les donneurs d’ordre l’imposent. On devrait le voir davantage si la sous-traitance des activités des collectivités locales étaient, via le cahier des charges des appels d’offre, davantage imprégnée de ces questions de normes.
      Dans le même esprit, la conclusion ne peut être retenue, puisque l’étude n’a pas suffisamment analysé le poids du secteur étudié dans l’économie et la création de valeur locale.
  • 9- Le rôle des Collectivités Publiques : « Stimuler le développement d’entreprises créatives dans les territoires ruraux sont à considérer : création de pépinières, de télécentres, de missions numériques au sein des CCI ou des EPCI… Structures, qui doivent agir comme des centres de transfert et de diffusion de compétences, de plateformes de partage d’expériences, afin de tirer vers le haut les pratiques dans le domaine des TIC. Il convient également de favoriser au maximum la mise en réseau des entreprises concernées, dont les savoir-faire sont souvent complémentaires.… Il ne faudrait pas que les collectivités soient cantonnées dans une stratégie onéreuse d’offre de « tuyaux », au détriment des politiques d’animation évoquées ci-dessus. »
    • => Ce raisonnement est bien « mécaniste » par rapport aux réalités de décisions locales, de mutations dans la conduite des entreprises, du temps de toute courbe d’apprentissage de nouvelles façons de travailler. Pour la mise en réseau des entreprises, heureusement que ces dernières agissent bien souvent en direct, sans attendre ! Soit par avantage commun, thématique partagée, esprit d’entreprise, solidarité en période de crise (par ex en Vendée). Ne substituons pas les rôles. Les collectivités locales sont les garantes démocratiques des territoires géopolitiques et ont mission d’y faire vivre de façon équilibrée les grandes fonctions économiques, sociales, urbaines et identitaires qui fondent un territoire. Bien sûr des partenariats ad hoc avec les acteurs économiques peuvent se déployer avec réussite, pour favoriser la création de valeur ajoutée locale.
  • 10- « L’attractivité d’un territoire pour les entrepreneurs de la nouvelle économie dépasse la dimension professionnelle, pour englober des questions liées à la culture, la santé, l’éducation, les services de proximité. Pour toutes ces questions, le développement du numérique a un rôle à jouer. »
    • => Certes… heureusement que le chef d’entreprise sait regarder où il met les pieds. Peu ou prou, les territoires se vaudront de plus en plus en termes d’accès numérique utilisable … Par contre le vrai différentiel des territoires reviendra, heureusement, sur leurs fondamentaux ; par exemple ceux du développement local et de l’énergie / employabilité entrepreneuriale de leurs habitants.